Les auteurs de la loi travail du 8 août 2016 affirment qu’il faut privilégier les accords et les référendums d’entreprise, afin de sortir de la lourdeur supposée du Code du travail et des contraintes, tout aussi supposées, des conventions collectives de branche.
En réalité, Monsieur Valls et Madame El khomri n’ont rien inventé et ont simplement étendu un système qui existe déjà, depuis au moins 2008. Une chose est sure, ils l’ont en tout cas considérablement alourdi.
Petit cours d’histoire (pourtant très récente) et aperçu de cette réforme (encore une, ça ne finira donc jamais !).
Les accords d’entreprise : ce n’est pas nouveau…
Depuis 2008, les entreprises ont déjà la faculté de signer des accords afin de définir les règles applicables concernant plusieurs aspects de la durée du travail (ancien article L. 2253-3) :
- fixation du contingent d’heures supplémentaires,
- fixation de repos compensateurs de remplacement des heures supplémentaires : il s’agit de remplacer tout ou partie du paiement des heures supplémentaires, ainsi que des majorations prévues, par un repos compensateur équivalent. En clair, les heures supplémentaires ne sont plus payées,
- aménagement du temps de travail sur une période supérieure à la semaine (annualisation) : suivant que l’entreprise connaît des périodes de haute ou de basse activité, la modulation du temps de travail a pour effet de soustraire à la qualification d’heure supplémentaire un certain nombre d’heures de travail qui auraient été qualifiées ainsi en l’absence d’accord de modulation. Même remarque que précédemment.
- conclusion de conventions de forfait en jours ou en heures sur l’année. On s’affranchit du décompte hebdomadaire, c’est-à-dire des 35 heures…c’était donc déjà possible ? Oui.
En remontant plus loin dans le temps, on se souvient également des accords d’entreprise – dits accords RTT (réduction du temps de travail) – qui ont été négociés et signés après les lois Aubry applicables au 1er janvier 2000.
Bref, conclusion sur les accords d’entreprise : rien de bien nouveau en droit du travail.
La loi du 8 août 2016 change quoi finalement ?
Elle a étendu le nombre de situations dans lesquelles l’accord d’entreprise prime sur la loi ou la convention collective, en en ajoutant quinze à celles déjà retenues en 2008.
Dorénavant, les questions suivantes peuvent par exemple être déterminées par accord d’entreprise :
- le taux de majoration des heures supplémentaires, avec un plancher à 10 % (c’est LA question qui a été la plus controversée) : par exemple, une entreprise du secteur de la métallurgie pourra conclure un accord d’entreprise fixant un taux de majoration des heures supplémentaires de 15 % ou 60 %, écartant par là-même le taux de majoration fixé par la branche, à savoir 25 % pour les 8 premières heures supplémentaires et 50 % au-delà.
- la fixation du nombre minimal d’heures entraînant la qualification de travailleur de nuit,
- la contrepartie lorsque le temps de déplacement professionnel dépasse le temps normal de trajet.
La loi Travail a ajouté deux thèmes à ceux sur lesquels un accord d’entreprise ne peut comporter des clauses dérogeant à une convention collective de branche : la prévention de la pénibilité et l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
Les accords d’entreprise vont-ils vraiment devenir la loi ?
Absolument pas. Concernant la durée du travail, la réforme du 8 août 2016 a retenu trois niveaux de règles, de façon pyramidale :
- Ordre public : c’est-à-dire les règles fixées par la loi ;
- Champ de la négociation collective : c’est la place des conventions collectives de branche et/ou des accords d’entreprise ;
- Dispositions supplétives : à défaut d’accord conventionnel ou d’accord d’entreprise concernant les domaines qui sont ouverts à la négociation collective, le code du travail fixe les règles applicables.
Le dernier niveau fixe donc les dispositions supplétives applicables, à défaut de règles fixées par la convention collective ou par accord d’entreprise.
Par conséquent, la négociation collective de branche ou d’entreprise va devenir stratégique, suivant la façon dont les sujets abordés sont traités dans le code du travail au titre des « dispositions supplétives ».
Pour complexifier un peu les choses, la loi du 8 août 2016 ouvre la faculté aux branches professionnelles de définir les thèmes sur lesquels les accords d’entreprise ne pourront déroger aux accords conclus au niveau de la branche.
Toutefois, cette limitation de la marge de manœuvre des négociateurs d’accords d’entreprise ne pourra pas porter sur les thèmes pour lesquels la loi prévoit la primauté de ces accords (C. trav., art. L. 2232-5-1).
Pourquoi associe t’on accord d’entreprise et référendum d’entreprise ?
La loi du 8 août 2016 prévoit que l’accord d’entreprise doit être signé par des syndicats, pris en la personne de leurs délégués syndicaux, ayant obtenu au moins 50 % (au lieu de 30 % avant) des suffrages exprimés en faveur des organisations syndicales représentatives lors du premier tour des dernières élections professionnelles (C. trav., art. L. 2232-12, alinéa 1er).
Si ce pourcentage n’est pas atteint, les organisations ayant obtenu 30 % pourront demander l’organisation d’un référendum d’entreprise auprès des salariés, qui devront le valider à la majorité. Faute d’approbation, l’accord sera réputé non écrit.
Le référendum vient en quelque sorte valider un accord d’entreprise minoritaire.
Pour les entreprises non dotées de délégués syndicaux, ce qui est le cas général, les accords d’entreprise sont possibles avec :
- Les représentants élus du personnel, membres du comité d’entreprise, de la délégation unique du personnel, et à défaut les délégués du personnel, spécialement mandatés à cet effet par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives dans la branche dont relève l’entreprise : l’accord d’entreprise passe alors par la voie du référendum, et doit être approuvé par les salariés de l’entreprise à la majorité des suffrages exprimés.
- Ces mêmes représentants élus du personnel, cette fois non mandatés, dans des conditions plus strictes (C. trav., art. L. 2232-22) ; l’accord d’entreprise n’est valable que s’il est signé par des membres titulaires représentant la majorité des suffrages exprimés lors des dernières élections professionnelles et doit en outre être adressé pour information à d’une commission paritaire de branche.
- Des salariés expressément mandatés par un ou plusieurs syndicats représentatifs dans la branche et l’accord signé doit être approuvé par référendum par les salariés à la majorité des suffrages exprimés : ce dispositif est en réalité inapplicable… aucun employeur qui désire passer un accord dérogatoire d’un accord de branche, ne prendra l’initiative d’une procédure de mandatement de l’un de ses salariés par un syndicat qui est précisément à l’origine de l’accord de branche contesté.
Dans l’immédiat, c’est-à-dire à compter du 1er janvier 2017, seuls les accords collectifs qui portent sur la durée du travail, les repos ou les congés, seront soumis au nouveau dispositif.
Le nouveau dispositif de majorité et de référendum d’entreprise s’applique déjà pour les accords de maintien dans l’emploi.
Il s’appliquera à compter du 1er septembre 2019 aux autres accords collectifs.
Sur le fond, j’estime que le referendum d’entreprise introduit un régime binaire, sinon basique (OUI/NON) qui n’est pas adapté avec la complexité des sujets abordés (durée du travail notamment), outre que les salariés ne sont ni informés ni utilement conseillés pour en appréhender tous les enjeux.