La hiérarchie des normes de droit du travail. S’il est un dispositif de la loi du 8 août 2016 dont les Français ont perçu la présence, c’est probablement celui porteur d’une « nouvelle architecture des règles en matière de durée du travail et de congés ». C’est en effet sur l’article 8 de la loi Travail qu’a porté l’essentiel des contestations. En cause, l’inversion supposée de la hiérarchie des normes sur la durée du travail et la prééminence de l’accord d’entreprise sur la loi.
La nouvelle architecture des règles en matière de durée du travail
En droit et pour faire simple, chaque norme doit respecter une norme de niveau supérieur à laquelle elle apporte des précisions. En cas de conflit de normes de niveaux différents, c’est en principe la norme supérieure qui s’applique – en droit du travail, il y a dans l’ordre décroissant : la loi, la convention collective, l’accord d’entreprise, le contrat de travail.
Avec la loi Travail, le législateur s’appuie sur la durée du travail pour expérimenter une nouvelle architecture des normes en droit du travail : la durée du travail sert donc de cobaye, elle qui souffre déjà d’une instabilité chronique provoquée par une production législative hystérique ces 20 dernières années.
Le nouvel agencement des normes (hiérarchie des normes de droit du travail) est de l’ordre du triptyque : 1) ordre public ; 2) champ de la négociation collective ; 3) dispositions supplétives.
Ordre public : corps de règles qui doivent être respectées par tous et auxquelles nulle dérogation ne saurait être apportée par voie conventionnelle.
Champ de la négociation collective : laissé libre à la détermination, par accord collectif (de branche ou d’entreprise), des dispositions les mieux adaptées à la situation de l’entreprise ou, dans certains cas, de la branche.
Dispositions supplétives : en cas d’absence d’ouverture de négociations ou de leur échec, sont édictées des dispositions supplétives appelées à combler le vide laissé par l’absence d’accord collectif.
Sur le fond, le changement n’est pourtant pas aussi considérable que certains l’ont prétendu, car depuis au moins 2008, les entreprises ont déjà la faculté de signer des accords d’entreprise afin de définir les règles applicables concernant plusieurs aspects de la durée du travail (ancien article L. 2253-3) ; la loi Travail a seulement étendu le nombre de situations dans lesquelles l’accord d’entreprise prime sur la loi ou la convention collective, en en ajoutant quinze à celles déjà retenues en 2008.
La nouveauté tient donc surtout à la généralisation de cette faculté d’adaptation par voie conventionnelle et au caractère quasi systématique de la présentation en triptyque des rubriques concernées (heures supplémentaires, aménagement de la durée du travail etc.).
La question à laquelle je ne peux pas répondre est finalement celle-ci : les partenaires sociaux vont-ils réellement se saisir du deuxième volet du triptyque, relatif au champ de la négociation collective ?
Le succès de ce dispositif ne tiendra pas à la signature des accords de branche (ils existent déjà avec les très nombreuses conventions collectives) mais à celle des accords d’entreprise, qui, dans la pratique, risquent d’être très difficiles à mettre en place, compte tenu de leur condition de validité.
Le véritable casse tête des référendums pour valider les accords d’entreprise minoritaires
En vertu de l’article L. 2232-12, la validité des accords d’entreprise suppose désormais leur signature par des organisations syndicales représentatives ayant obtenu plus de 50 % – et non plus au moins 30 % comme auparavant – des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles organisées dans l’entreprise.
Cette règle est immédiatement applicable aux accords conclus en vue de la préservation ou du développement de l’emploi, applicable à partir du 1er janvier 2017 aux accords portant sur la durée du travail, le repos et les congés et aux autres à compter du 1er septembre 2019.
Les syndicats signataires qui, sans atteindre le seuil précédent de 50%, justifient de celui de 30 %, ont le droit de solliciter l’organisation d’une consultation des salariés sous forme de référendum pour valider l’accord, ce qui sera le cas s’il est approuvé par eux à la majorité des suffrages exprimés.
Mais il y a trois problèmes en pratique :
1) rien ne garantit que les syndicats « minoritaires » prendront une telle initiative, de nature à cristalliser les tensions avec les syndicats non-signataires ;
2) en l’absence d’initiative syndicale, le chef d’entreprise ne peut pas lui-même décider de soumettre l’accord aux suffrages des salariés ;
3) si l’organisation de ce scrutin lui est demandée, il n’est pas sûr qu’il accueille toujours cette demande avec enthousiasme tant l’organisation d’un scrutin est une mécanique lourde, consommatrice de temps, coûteuse, pour un résultat qui est, en tout état de cause, aléatoire.
À supposer franchie la barre des 50 %, le risque existe que s’engage un procès judiciaire, les plaignants faisant notamment valoir que l’accord intervenu excède, en tout ou partie, le champ offert à la négociation collective en ce qu’il concerne des rubriques consacrées à l’ordre public dans un sens non favorable aux salariés.
Il est donc à craindre que nombre d’entreprises renoncent à s’engager dans des voies aussi périlleuses et se bornent, ainsi qu’il a pu être maintes fois constaté dans le passé, à appliquer les normes édictées au titre des rubriques « ordre public » et « dispositions supplétives ».
Encore une fois, la pratique, que les politiques devraient davantage prendre en compte, risque de conduire à un résultat fort éloigné de celui espéré par les auteurs de la loi Travail du 8 août 2016.
Laisser un commentaire