La loi Travail est un véritable fourre-tout, qui mêle des dispositions qui n’ont aucun lien entre elles, telle la durée du travail avec une nouvelle hiérarchie des règles applicables dans l’entreprise, le « droit à la déconnexion », le compte personnel d’activité, la cause réelle et sérieuse d’un licenciement pour motif économique, la place et le rôle des médecins du travail, la lutte contre le détachement illégal etc.
C’est hélas classique, car le droit du travail est devenu un enjeu politique, chaque gouvernement souhaitant mettre sa pierre à l’édifice : la complexité du droit social vient de cette frénésie politique à vouloir le changer en permanence.
La loi Travail n’échappe pas à ce constat désastreux. Je ne vais donc pas me lancer dans un inventaire à la Prévert, puisque cette loi, comme les précédentes, n’a aucune cohérence, les mesures disparates qu’elle adopte étant nées au fil des rapports commandés, des pressions exercées par des organisations professionnelles et des amendements des parlementaires.
J’examinerai seulement les mesures « phares », qui ont d’ailleurs fait polémique (pour pas grand-chose en réalité).
1) Les mesures qui ont fait polémique
1.1/ La nouvelle architecture des règles en matière de durée du travail
L’article L. 3111-3 du Code du travail établit le principe d’une subdivision des dispositions relatives à la durée du travail (et seulement pour la durée du travail, pour l’instant du moins) en trois parties :
– l’ordre public, défini par le rapport Combrexelle comme « les principes fondamentaux du droit du travail qui relèvent strictement du champ de l’article 34 de la Constitution ainsi que les normes de transposition du droit communautaire : ces principes et normes présentant un caractère impératif » ; il s’agit, en d’autres termes, des règles auxquelles il ne peut être dérogé ;
– le champ de la négociation collective, c’est-à-dire « les champs ouverts à la négociation avec le minimum d’encadrement législatif qu’exige la Constitution » ;
– le cas échéant, les dispositions supplétives, celles qui s’appliquent en l’absence d’accord collectif.
Cette « maison à trois étages » devrait clarifier les rôles attribués à chacun : ceux du législateur chargé, suivant les exigences constitutionnelles de circonscrire le cadre dans lequel la négociation peut s’exercer, mais également de suppléer le silence des employeurs et organisations syndicales (issu d’une volonté ou d’un désaccord) ; celui des partenaires sociaux auxquels est confiée, par principe, la production de la norme sociale sous forme d’accord de branche ou d’accord d’entreprise.
Le succès de ce dispositif dépendra du nombre d’accords d’entreprise qui seront signés. Je pense toutefois que majoritairement, les acteurs sociaux (employeurs et syndicats) s’en remettront à la loi, car cela a toujours été leur pratique dans le passé, et appliqueront les règles issues de l’ordre public et des dispositions supplétives.
1.2/ Les référendums d’entreprise
En vertu de l’article L. 2232-12, la validité des accords d’entreprise suppose désormais leur signature par des organisations syndicales représentatives ayant obtenu plus de 50 % – et non plus au moins 30 % comme auparavant – des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles organisées dans l’entreprise.
Les syndicats signataires qui, sans atteindre le seuil précédent de 50%, justifient de celui de 30 %, ont le droit de solliciter l’organisation d’une consultation des salariés sous forme de référendum pour valider l’accord, ce qui sera le cas s’il est approuvé par eux à la majorité des suffrages exprimés.
Les référendums ont donc pour but de valider un accord d’entreprise « minoritaire ».
2) Quelles sont les conséquences pour les entreprises ?
2.1/ Possibilité de conclure des accords offensifs
Ces accords sont conclus « en vue de la préservation ou du développement de l’emploi » ; les stipulations de l’accord « se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail, y compris en matière de rémunération et de durée du travail ».
En clair, ces accords « offensifs » modifier – notamment – les règles concernant la durée du travail ou les heures supplémentaires, mais aussi sur toutes les conditions de travail, comme l’aménagement du temps de travail, les avantages accordés aux salariés, la mobilité, etc.
La mise en œuvre de l’accord de préservation ou de développement de l’emploi peut entraîner une modification du contrat de travail du salarié que ce dernier a la faculté de refuser. Face à l’opposition du salarié, l’employeur peut engager une procédure de licenciement.
2.2/ Le regroupement des branches professionnelles
La loi Travail a pour ambition déclarée d’accélérer le mouvement de restructuration des branches professionnelles engagé par la loi du 5 mars 2014, pour parvenir à un paysage conventionnel restructuré autour de 200 branches d’ici trois ans, contre environ 700 branches aujourd’hui (hors secteur agricole).
2.3/ Élargissement du champ de la négociation obligatoire
L’obligation de négocier ne cesse de s’étendre (salaires effectifs, durée effective du travail, organisation du temps de travail, « objectifs en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans l’entreprise », gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences (GPEC) pour les entreprises occupant au moins trois cents salariés, négocier sur les mesures relatives à l’insertion professionnelle et au maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés etc.).
Avec la loi Travail, le législateur continue d’accroître le champ matériel de la négociation obligatoire, puisque la négociation sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail (QVT) s’enrichit du thème du droit à la déconnexion pour toutes les négociations s’ouvrant à compter du 1er janvier 2017.
2.4/ Le droit reconnu aux entreprises d’obtenir une information
Au nom de l’ « appui aux entreprises », est ouvert à celles de moins de trois cents salariés le droit d’obtenir une information « précise », délivrée dans un délai « raisonnable », auprès de l’administration sur les « démarches » et les « procédures légales à suivre » lorsqu’elles sont confrontées à « une situation de fait » qui pose la question de « l’application d’une disposition du droit du travail » (sous-entendu : d’origine légale ou réglementaire) ou des stipulations d’une convention ou d’un accord collectif qui leur est applicable.
3) Quelles sont les conséquences pour les salarié(e)s ?
3.1/ Les règles concernant les licenciements pour motif économique sont modifiées
L’essentiel tient ici dans les modifications apportées à l’article L. 1233-3 du Code du travail, notamment dans la précision selon laquelle une cause réelle et sérieuse de licenciement est en principe caractérisée, en raison de difficultés économiques, lorsqu’est constatée une « baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires » dès lors que la durée de cette baisse, révélée grâce à une comparaison avec le niveau d’activité enregistré au cours de la même période de l’année précédente, est au moins égale à : 1) un trimestre dans les entreprises de moins de onze salariés ; 2) deux, consécutifs, dans celles d’au moins onze et de moins de cinquante salariés ; 3) trois, consécutifs, dans celles d’au moins cinquante et de moins de trois cents salariés ; 4) quatre, consécutifs, dans celles d’au moins trois cents salariés.
3.2/ L’encadrement de la durée du travail
Antérieurement fixés par l’article L. 3121-22 du Code du travail au taux de 25 % pour chacune des huit premières heures supplémentaires et au taux de 50 % pour les heures suivantes, les lois précédentes n’avaient pu rendre possible la fixation conventionnelle d’un taux de majoration inférieur, et ce, à raison de la présence de clauses communément dites de « verrouillage » dans certains accords de branche.
Il revient désormais à l’accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, à la convention ou l’accord de branche, de fixer le taux de majoration des heures supplémentaires, sans toutefois qu’ils puissent être inférieurs à 10 % (C. trav., art. L. 3121-33).
À titre supplétif, la loi reprend, en l’absence d’accord, les taux antérieurement fixés : majoration de 25 % pour les huit premières heures supplémentaires et 50 % pour les suivantes.
3.3/ Le compte personnel d’activité
Le compte personnel d’activité est formé par rassemblement du compte personnel de formation, du compte personnel de prévention de la pénibilité et du compte d’engagement citoyen (C. trav., art. L. 5151-1 et s.).
La loi du 8 août 2016 définit la première étape du CPA, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2017 et regroupera trois comptes : le compte personnel de formation (CPF), le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) et le compte d’engagement citoyen (CEC).
Le CPA étend ce principe aux fonctionnaires et aux travailleurs indépendants (à partir de 2018) qui vont pouvoir eux aussi accumuler les droits à formation, même s’ils changent de régime.
3.4/ Le droit à la déconnexion
A partir du 1er janvier 2017, les entreprises de plus de 50 salariés doivent ouvrir des négociations sur le droit à la déconnexion numérique, pour mettre en place des dispositifs de régulation des outils numériques afin de respecter les temps de repos et l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle.
La loi Travail a pour ambition de limiter l’usage professionnel des smartphones, ordinateurs et tablettes dans la sphère privée, c’est-à-dire en dehors du temps ou du lieu de travail