L’hypothèse est très fréquente : une filiale appartenant à un groupe de sociétés licencie tout ou partie de ses salariés pour motifs économiques, alors que les autres filiales du même groupe peuvent rester en bonne santé financière.
Ces salariés peuvent être tentés de rechercher la responsabilité de la société mère, qui n’aurait pas préserver leurs emplois en cherchant à les reclasser à l’intérieur du groupe par exemple.
Ce n’est pas si simple car le Droit Social ne reconnaît pas en tant que telle la notion du groupe, même s’il y fait référence concernant des aspects particuliers comme l’obligation de reclassement ou le Comité de groupe notamment.
Cette absence de consécration légale du groupe s’explique par le fait que chaque société a sa propre personnalité morale, avec des droits et des obligations qui lui sont propres, alors que le groupe n’en a pas.
Le groupe n’existe donc pas juridiquement, et n’est donc pas responsable de ses filiales, a priori.
Pourtant, dans une affaire retentissante qui concernait le groupe Aspocomp, des salariés licenciés ont tout de même recherché la responsabilité du groupe et donc de la société mère, dès lors qu’au jour de leurs licenciements, d’une part, leur employeur (la filiale) n’était pas en mesure de mettre en place un plan social (PSE) digne de ce nom, alors que les moyens financiers du groupe auraient permis de financer un plan social satisfaisant, et d’autre part, parce que les recherches de reclassement au niveau de groupe, afin d’éviter précisément leurs licenciements, n’avaient pas été accomplies.
Cette action était fondée sur deux textes légaux :
L’article L. 1235-10, deuxième alinéa, du Code du travail prévoit en effet que : « la validité du plan de sauvegarde de l’emploi est appréciée au regard des moyens dont dispose l’entreprise ou l’unité économique et sociale ou le groupe ».
L’article L.1233-4, alinéa 1, du Code du travail dispose également que : « le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré dans l’entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel il appartient ».
La cour d’appel de Rennes jugea, de façon très innovante il faut bien le reconnaître, que la société mère devait être condamnée à payer les dommages-intérêts à tous les salariés licenciés pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, faute de preuve de recherche sérieuse de reclassement dans le groupe.
Saisie par la société mère, la Cour de cassation (Cass. soc., 19 juin 2007) a tranché cette question en rappelant les principes de notre Droit actuel : elle a finalement rejeté le pourvoi et n’a pas censuré cet arrêt, mais cela ne veut pas dire pour autant (contrairement à ce qu’on a pu lire parfois) qu’elle ait admis le principe d’une responsabilité du groupe (et de la société mère) en lieu et place de celle de la filiale. Pourquoi ?
Parce que la Cour de cassation a simplement relevé que la société mère avait été jugée co-employeur des salariés de sa filiale, au motif que le juge du fond avait « constaté que les salariés avaient accompli leur travail sous la direction et au profit des sociétés Aspocomp (filiales) et Aspocomp Group OYJ (mère), dont les intérêts, les activités et la direction étaient confondues », formule classiquement retenue par la jurisprudence pour conclure à la situation de co-emploi d’un salarié à l’intérieur d’un groupe.
La société Aspocomp Group OYJ n’a donc pas été condamnée en raison de son statut particulier de société mère, mais en raison du fait qu’elle était co-employeur des salariés licenciés, ce qui est tout à fait différent.
Au-delà de cette analyse juridique subtile, il est vrai qu’il n’est pas totalement incohérent, sur le plan économique et surtout sur le plan de l’équité, de rendre le groupe et/ou ses membres (la société mère en premier lieu) co-débiteur de l’obligation de reclassement ou d’élaboration d’un plan social, qui pèse sur ses filiales à l’occasion de licenciements économiques.
En pratique toutefois, une telle solution, aussi séduisante soit-elle, serait très difficile à mettre en place si l’on songe aux groupes de dimension internationale et même communautaire, avec des législations sociales très différentes : les employeurs français accepteraient-ils par exemple de se voir imposer des contraintes similaires par des États tiers ?…
Surtout, cette solution irait à l’encontre des principes de notre Droit qui ne reconnaît pas la personnalité morale au groupe de sociétés.
Faut-il légiférer afin de créer un régime de responsabilité sociale particulier aux groupes ?
Certains répondront que ce serait suicidaire car cela ruinerait les investissements étrangers en France ; d’autres que la protection sociale des salariés n’a pas de prix…
Chacun se fera son opinion, mais à ce jour, cette responsabilité sociale particulière aux groupes n’existe pas, ni dans la loi, ni en jurisprudence. Pour le moment en tout cas… affaire à suivre.