Les plans sociaux font l’actualité : Hier Fralib, Petroplus, ArcelorMittal, Peugeot, Air France, maintenant la grande distribution avec Carrefour et Casino et d’autres secteurs qui risquent de connaitre la même situation.Certains sont qualifiés de plans boursiers lorsque les entreprises concernées versent des dividendes à leurs actionnaires tout en supprimant dans le même temps des centaines de postes.
La justice est saisie d’actions visant à obtenir la nullité de tels plans lorsque les motifs économiques invoqués par l’employeur, à l’occasion de la consultation des représentants du personnel, ne paraissent pas suffisamment précis ou assez sérieux.
L’affaire Viveo : deux décisions opposées pour un même plan social
Premier acte, la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 12 mai 2011 a admis la possibilité de faire annuler un plan social en cas de défaut ou d’insuffisance du motif économique invoqué à l’occasion de la consultation des élus de l’entreprise.
Ce n’est pas seulement le plan social qui est annulé mais également tous les actes subséquents, notamment les licenciements. On mesure l’enjeu d’une telle décision.
La motivation retenue par la Cour de Paris est la suivante : « le défaut de motif économique rendant sans objet la consultation du comité d’entreprise et l’ensemble de la procédure subséquente s’avérant par là même dépourvue d’effet, c’est à bon droit que le comité d’entreprise de la société Viveo France sollicite l’annulation de la procédure et tous ses effets subséquents ».
Deuxième acte, la Cour de cassation a censuré cette décision le 3 mai 2012 en rappelant que seule l’absence ou l’insuffisance du plan social est susceptible d’entraîner la nullité de la procédure de licenciement pour motif économique.
La Haute Cour retient que : « la procédure de licenciement ne peut être annulée en considération de la cause économique de licenciement, la validité du plan étant indépendante de la cause du licenciement ».
L’approche juridique de l’affaire Viveo
La décision rendue par la Cour d’appel de Paris se heurtait à un obstacle juridique qui semblait insurmontable : la nullité d’un plan social pour défaut de motif économique n’est pas prévue par le code du travail.
En effet, sur le plan collectif, l’article L. 1235-10 du Code du travail prévoit la nullité du plan social en cas d’absence ou d’insuffisance du plan de sauvegarde de l’emploi soumis aux représentants du personnel.
C’est l’existence et le sérieux d’un plan social qui conditionne la validité de la procédure, pas le motif économique invoqué par l’entreprise.
Pour contester ce motif économique, les salariés licenciés ont la faculté de saisir le Conseil de prud’hommes afin obtenir des dommages et intérêts, mais cette action n’a rien à voir avec celle visant à obtenir la nullité d’un plan social.
En vertu de l’adage « pas de nullité sans texte », le juge ne peut donc pas ajouter une cause de nullité à celle prévue par l’article L. 1235-10.
L’approche sociale
L’analyse de la Cour d’appel de Paris s’appuie sur un courant doctrinal selon lequel un plan social ne répondant pas à la définition légale du licenciement économique serait affecté d’un vice tel qu’il conduirait à la nullité de toute la procédure.
Il s’agit d’une interprétation civiliste basée sur l’exécution loyale des conventions, afin de sanctionner l’employeur qui aurait en quelque sorte détourné les règles prévues pour les procédures de licenciement pour motif économique.
Le risque de contagion des actions en nullité des plans sociaux est bien réel
Le risque d’un développement du contentieux des nullités du licenciement pour défaut de cause économique est-il endigué après l’arrêt Viveo rendu par la Cour de cassation ? Nous ne le pensons pas.
L’affaire Viveo a sans doute ouvert une brèche que l’arrêt de la Cour de cassation est très loin d’avoir colmaté, pour une raison très simple : au-delà de l’analyse juridique, l’enjeu social est tel dans ce type d’affaires que des juridictions se rangeront certainement à la position retenue par la Cour d’appel de Paris et prononceront la nullité de plans sociaux en cas de défaut ou d’insuffisance du motif économique invoqué.
L’affaire Leader Price : la résistance des juges du fond
Dans un jugement rendu le 22 mai 2012, le TGI de Créteil n’a pas suivi la position pourtant très claire de la Cour de cassation dans l’affaire Viveo, en faisant droit à la demande de nullité d’un plan social réalisé par le groupe Casino.
Selon le Tribunal, il résulte de la formulation et de la place de l’article L. 1235-10 au sein du Code du travail que la procédure de consultation des représentants du personnel doit correspondre à des licenciements pour motif économique, et qu’à défaut une telle procédure est dépourvue de cause. Étant dépourvue de cause, la procédure mise en œuvre par l’employeur s’analyse en un détournement du texte légal. Ce faisant, l’employeur commet une fraude à la loi, et la procédure de licenciement doit donc être annulée.
En retenant que l’employeur avait commis une fraude à la loi en ce qu’il a engagé une procédure de licenciement pour motif économique alors qu’il ne pouvait justifier d’un motif économique réel et sérieux, le Tribunal va très loin, plus loin que la Cour d’appel de Paris dans l’affaire Viveo.
La Cour de cassation est bien entendu saisie de cette nouvelle affaire et sa décision est très attendue.