Depuis quelques années, la question du port du voile islamique s’invite dans les entreprises et alimente le contentieux des discriminations fondées sur les convictions religieuses.
Les faits sont souvent les mêmes : une salariée se présente à son poste de travail avec un foulard dissimulant ses cheveux, ses oreilles et son cou. À la suite de son refus de le retirer, l’employeur la licencie. S’estimant victime de discrimination en raison de ses convictions religieuses, la salariée saisit le juge pour obtenir la nullité de son licenciement.
Que dit la loi en pareille circonstance ?
Pour aborder cette question (oh combien sensible), il faut s’affranchir de toute appréciation subjective, pour s’efforcer d’expliquer les règles de façon pédagogique, concernant les conditions requises pour interdire le port du foulard islamique au travail.
Gardons à l’esprit que cette interdiction du voile dans l’entreprise constitue une exception – et seulement une exception – au principe général de non-discrimination, qui interdit que les salariés soient sanctionnés, licenciés, ou fasse l’objet d’une mesure discriminatoire directe ou indirecte en raison (notamment) de leurs convictions religieuses (article L. 1132-1 du code du travail).
C’est la raison pour laquelle l’interdiction du port du voile est semée d’embuches pour les salariés du privé ; la situation est très différente pour ceux du public.
L’interdiction du port du voile dans une entreprise
Comment l’employeur peut-il échapper à la discrimination directe ? Le mode d’emploi est connu mais pas vraiment facile à mettre en œuvre :
La possibilité d’interdire le voile dans le règlement intérieur
Depuis la loi du 8 août 2016 qui a consacré le nouvel article L. 1321-2-1 du code du travail, l’employeur peut en effet prévoir dans le règlement intérieur « des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché ».
Sur la base de ce texte, a Cour de cassation retient que le règlement intérieur peut contenir une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, dès lors que cette clause générale et indifférenciée n’est appliquée qu’aux salariés se trouvant en contact avec la clientèle.
Les conditions requises pour prévoir une interdiction sont très strictes : elle doit être générale et indifférenciée, justifiée par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise, proportionnée au but recherché.
On notera que la Cour de cassation considère que la clause de neutralité ne peut s’appliquer qu’aux salariés se trouvant en contact avec la clientèle.
Une interdiction générale du voile, sans discernement, serait illicite.
Si la neutralité n’est pas prévue par le règlement intérieur
La situation de l’employeur est beaucoup plus délicate car l’interdiction faite à une salariée de porter le foulard islamique constitue – a priori – une discrimination directe fondée sur ses convictions religieuses.
Pour échapper à une condamnation, il devra établir que l’interdiction est motivée par une exigence professionnelle essentielle et déterminante et respecte les principes de proportionnalité et/ou de non-discrimination et/ou de neutralité.
Au regard du principe de proportionnalité (C. trav., art. L. 1121-1 et L. 1321-3), la limitation de la liberté religieuse doit être justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché.
Au regard du principe de non-discrimination directe (C. trav., art. L. 1133-1), la limitation de la liberté religieuse doit être justifiée par une « exigence professionnelle essentielle et déterminante » conformément à la jurisprudence nationale et européenne.
La notion d’exigence professionnelle essentielle et déterminante renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause. Elle ne saurait couvrir des considérations subjectives, telles que la volonté de l’employeur de tenir compte des souhaits particuliers du client qui ne tolère pas le voile islamique.
Mais, on ne va pas se mentir, ce chemin est très périlleux car si l’employeur n’arrive pas à caractériser une telle exigence – difficile à rapporter – son comportement tombera inévitablement sous le coup de la discrimination directe.
Le cas particulier du service public
Les agents d’un établissement public sont soumis aux principes de neutralité et de laïcité, auxquels ils ne peuvent pas déroger.
Ces principes sont également applicables dans les établissements privés chargés d’une mission de service public.
A ce titre, ces établissements se doivent de faire respecter le principe de laïcité inscrit à l’article 1er, alinéa 1er de la Constitution du 13 mai 1958 et le principe de neutralité qui en découle.
Le principe de laïcité fait obstacle à ce que les agents disposent du droit de manifester leurs croyances religieuses par des signes extérieurs, en particulier vestimentaires.
En pratique, ce n’est donc pas la pratique religieuse, quelle qu’elle soit, qui motive une sanction disciplinaire, mais l’attitude de la salariée qui refuse de se soumettre à ces principes.
On sait en effet que même s’ils bénéficient de la liberté de conscience qui interdit toute discrimination fondée sur la religion, le principe de laïcité interdit aux agents publics de manifester leurs croyances religieuses dans le cadre du service public.
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