En ces temps d’élections, nous assistons à des déclarations contradictoires de la part des acteurs politiques, les uns affirmant que la sortie des 35 heures serait « inéluctable » en temps de crise, les autres déclarant au contraire qu’une réforme de la durée légale de travail ne serait pas envisageable.
Qu’en est-il réellement sur le plan du Droit du travail ?
Les 35 heures : un système (trop ?) complexe
La complexité actuelle des règles qui régissent la durée du travail n’est pas vraiment contestable ; elle trouve sa source dans le nombre excessif de lois (plus de vingt en 20 ans !) et dans l’absence d’un système d’ensemble cohérent sur le sujet.
Cette complexité est source d’erreurs qui sont à l’origine des débats idéologiques auxquels nous assistons ; et force est de constater qu’il y a de nombreuses idées fausses concernant les 35 heures.
Les 35 heures : un système auquel on peut déjà largement déroger
Il est faux d’affirmer que les lois Aubry sur les 35 heures ont enfermé les modalités d’organisation des temps de travail dans un carcan réglementaire.
Il existe déjà de nombreuses possibilités pour déroger au système des 35 heures, citons notamment :
– La modulation du temps de travail, qui permet à l’employeur d’adapter la durée hebdomadaire du travail des salariés aux besoins de l’activité de son entreprise avec une répartition des horaires sur une durée supérieure à la semaine et au plus égale à l’année.
Ainsi, cette durée hebdomadaire peut varier au-delà ou en deçà de la durée légale du travail (35 heures) suivant que l’entreprise connaît des périodes de haute ou de basse activité, du moment que, sur l’année, la durée totale du travail n’excède pas 1 607 heures (Art. L. 3122-9 du Code du travail).
La modulation a pour effet de soustraire à la qualification d’heure supplémentaire un certain nombre d’heures de travail qui auraient été qualifiées ainsi en l’absence d’accord de modulation.
– L’organisation de cycles de travail qui permet de s’affranchir d’un décompte hebdomadaire du temps de travail (Art. L. 3122-2 du Code du travail).
– L’instauration d’horaires individualisés qui permettent de faire varier les horaires d’entrées et de sorties de chaque salarié et de les soustraire ainsi à un horaire collectif (Art. L. 3122-23 du Code du travail).
– Les techniques de dérogation prévues le plus souvent par les Conventions collectives, qui permettent de déroger à la durée légale de travail, notamment par la mise en place de forfaits en heures ou en jours sur l’année (Art. L 3121-42 et suivants du Code du travail).
– Le remplacement de tout ou partie du paiement des heures supplémentaires, ainsi que des majorations prévues, par un repos compensateur équivalent (article L. 3121-24 du code du travail).
Au final, on constate donc, loi après loi, une augmentation des possibilités de dérogation au système des 35 heures.
Les 35 heures : un simple seuil de déclenchement
La durée légale de travail ne peut pas être supprimée en vertu du principe d’une rémunération majorée pour les heures effectuées au-delà d’un certain seuil.
Aujourd’hui, de la 36ème à la 43ème heure, le taux majoré est de 25% pour passer à 50% à partir de la 44ème heure supplémentaire.
Sur ce point, il est intéressant de noter qu’un simple accord d’entreprise peut aujourd’hui réduire le taux de majoration des heures supplémentaires, y compris au-delà de 39 heures et quel que soit l’effectif, à hauteur de 10 %, ce que la plupart des dirigeants d’entreprise ne savent pas !
Si le seuil de la durée légale de travail passe de 35 heures à 39 heures par exemple, cela entraine une suppression de la majoration de 25 % pour 4 heures de travail, sans perte réelle de salaire mensuel.
Mais le fait de déplacer ainsi le seuil de 35 heures serait contradictoire avec un slogan devenu célèbre : « travailler plus pour gagner plus »… qui deviendrait en quelque sorte « travailler plus pour gagner pareil ».
Les 35 heures : une spécificité française ?
Le droit français de la durée du travail est-il, comme on l’entend souvent, un système contraignant et rigide par rapport à celui de nos voisins européens qui serait plus souple ?
Si l’on prend en compte les nombreuses techniques de dérogation citées plus haut, la réponse est négative. Encore faut-il les connaître et les maitriser, notamment pour les PME et PMI.
Cela étant, une critique sérieuse au système des 35 heures demeure, celle de sa complexité excessive ; mis à part les spécialistes du Droit social, qui y comprend encore grand-chose ?!
L’inflation de lois en la matière contribue à une judiciarisation excessive du droit du travail, contraire au but recherché par le législateur.
Les 35 heures : les véritables enjeux d’une réforme de fond
Afin de clarifier ce système trop complexe, une réforme du droit de la durée du travail s’impose effectivement, sans qu’il soit besoin d’aller chercher telle ou telle idéologie politique.
Mais cette réforme ne devrait pas se limiter, comme par le passé, à ajouter une nouvelle loi qui corrige à la marge certaines imperfections et vienne se superposer aux précédentes.
Elle devrait, d’abord et avant tout, renforcer le rôle des acteurs sociaux, le rôle de la loi étant limité à fixer les principes liés notamment à la protection de la santé des salariés, et à organiser les procédures permettant de fixer par accord interprofessionnel, par accord de branche et par accord d’entreprise les aspects quantitatifs (temps de travail effectif, durée légale, heures supplémentaires, durée maximum) et qualitatifs (répartition de l’horaire collectif, dans la semaine, sur un cycle, à l’année et aménagement des temps par des entrées et sorties décalées) de la durée du travail.
L’expérience prouve en effet qu’une législation unique sur le temps de travail est inadéquate et que la prise en compte des spécificités et des contraintes de chaque secteur d’activité est absolument primordiale.
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