La perte ou la suspension de son permis de conduire constitue pour un salarié un fait qui relève parfois de sa vie personnelle. Pour autant, ce fait peut constituer une atteinte aux intérêts de l’entreprise qui l’emploie, si l’usage d’un véhicule est indispensable à l’exécution de son travail ou si le salarié est directement affecté à la conduite de véhicules.
En effet, la suspension ou l’annulation du permis de conduire interdit même provisoirement la poursuite de la relation contractuelle.
L’employeur est-il alors en droit de licencier le salarié en cas de perte de permis ?
La réponse est relativement simple si la perte du permis résulte de faits commis à l’occasion du travail. Par exemple, il a été jugé que pendant le temps de travail, la conduite d’un véhicule sous l’empire d’un état alcoolique constitue indiscutablement une faute grave justifiant le licenciement d’un salarié[1].
La perte du permis de conduire à l’occasion d’une telle infraction commise pendant le temps de travail constitue donc indiscutablement une faute.
En revanche, la question est plus délicate lorsque la suspension ou l’annulation de permis de conduire font suite à des infractions routières commises dans le cadre de la vie personnelle des salariés.
Cette question continue toujours de nourrir la chronique jurisprudentielle et n’est pas véritablement tranchée comme on va le voir.
Un principe : la protection de la vie personnelle des salariés
Aux termes d’une jurisprudence constante, il existe en droit du travail un principe selon lequel l’employeur ne peut pas se référer à des faits relevant de la vie personnelle d’un salarié pour le licencier[2].
Chacun comprend que lorsque le salarié n’est pas au temps et au lieu du travail, et qu’il n’est donc pas dans l’exécution de sa prestation de travail, il n’est plus dans un lien de subordination et n’est donc plus tenu à aucune obligation à l’égard de son employeur.
L’article L1121-1 du code du travail rappelle également les droits et libertés dans l’entreprise : « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».
En définitive, la vie personnelle se confond très largement dans les faits avec la vie extraprofessionnelle des salariés.
Une exception : le trouble objectif caractérisé au sein de l’entreprise
Un agissement ou comportement du salarié dans sa vie personnelle peut avoir des répercussions sur le bon fonctionnement de l’entreprise au sein de laquelle il a pu provoquer un trouble.
Aussi, la Cour de cassation a retenu assez vite que des faits relevant de la vie personnelle d’un salarié peuvent constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement s’ils sont de nature à créer, compte tenu de la nature des fonctions exercées et de la finalité propre de l’entreprise, un trouble objectif caractérisé au sein de cette entreprise[3].
La perte du permis de conduire ne devrait pas constituer un fait fautif
A supposer que la perte du permis puisse constituer une cause du licenciement, elle doit impérativement être une cause non fautive car si l’employeur se place sur le terrain disciplinaire, il sera sanctionné par les juges en vertu de la jurisprudence actuelle[4] qui lui interdit de licencier un salarié pour faute (faute simple, faute grave ou lourde) en raison de faits qui relèvent de sa vie personnelle.
Cette distinction est encore très mal connue des employeurs.
L’évolution de la jurisprudence sociale concernant le retrait du permis de conduire d’un salarié a été chaotique, il faut bien le reconnaitre.
La Cour de cassation a parfois rattaché artificiellement à la vie professionnelle des faits du salarié étrangers à l’exécution de la prestation de travail, ce qui a eu pour conséquence de justifier le licenciement disciplinaire du salarié en cause, nonobstant la règle selon laquelle un fait de vie personnelle ne peut constituer une faute.
Ainsi, la Cour de cassation a jugé que le fait pour un chauffeur routier de se voir retirer son permis de conduire pour des faits de conduite sous l’empire d’un état alcoolique, même commis en dehors de son temps de travail, se rattache à la vie professionnelle[5], alors que le contraire avait été jugé quelque temps auparavant[6].
Cette décision a été suivie par certaines Cours d’appel, et notamment celle de Lyon dans un arrêt de 2010 dont la motivation mérite d’être rappelée : il s’agissait d’un salarié, engagé en qualité de VRP sur un secteur couvrant 10 départements, qui s’était fait suspendre son permis de conduire pour une durée de trois mois, en raison d’un contrôle d’alcoolémie positif, alors qu’il était au volant de son véhicule personnel ; il a été licencié pour faute grave.
Pour justifier la rupture, la Cour d’appel a retenu que « dès lors que l’activité du VRP consiste dans la prospection de clients sur 10 départements, que l’employeur a mis à sa disposition un véhicule de type utilitaire pour faciliter le transport des échantillons à présenter et que les modes de transports vers les régions à visiter ne sont pas forcément commodes et rapides, alors il est montré que la conduite d’un véhicule est un élément essentiel de l’activité du salarié. C’est pourquoi, puisque la perte du permis de conduire a en outre un impact direct sur le chiffre d’affaires réalisé par le salarié en l’empêchant de remplir, par ses propres moyens les tâches inhérentes à sa fonction, l’employeur, qui ne pouvait matériellement proposer un autre poste au salarié et n’était pas tenu d’accepter sa proposition de se faire accompagner à ses frais par des tiers dans ses déplacements, caractérise le grief tiré, non de l’infraction routière en elle-même commise dans un cadre privé, mais de ses incidences professionnelles. Le licenciement pour faute grave prononcé par l’employeur est alors justifié »[7].
Or, très récemment, la position de la Cour de cassation s’est totalement inversée sur cette question :
S’agissant d’un conducteur d’engin employé par une entreprise de propreté, la chambre sociale de la Cour de cassation a pris une décision contraire en indiquant « qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail ». Elle ajoute « que le fait pour un salarié qui utilise un véhicule en dehors de l’exercice de ses fonctions de commettre, dans le cadre de sa vie personnelle, une infraction entraînant la suspension ou le retrait de son permis de conduire ne saurait être regardé comme une méconnaissance par l’intéressé de ses obligations découlant de son contrat de travail »[8].
La question semble donc tranchée par la Cour de cassation : la perte du permis de conduire ne peut constituer une faute disciplinaire pour le salarié. Peut-elle constituer pour autant une cause réelle et sérieuse (non fautive) de licenciement ?
La perte du permis n’entraine pas systématiquement un trouble objectif caractérisé au sein de l’entreprise
En théorie, l’employeur conserverait la possibilité de licencier un salarié qui a perdu son permis dont l’usage est indispensable à l’exercice de ses fonctions, pour un motif personnel autre que disciplinaire.
Il invoquerait dans la lettre de licenciement que le fait pour ce salarié de s’être placé dans l’impossibilité d’accomplir durablement sa prestation de travail par suite de l’adoption d’un comportement délictueux qui a entrainé la perte de son permis, constitue un trouble objectif caractérisé au sein de l’entreprise compte tenu de l’impossibilité de toute poursuite des relations contractuelles.
A notre sens, un tel licenciement ne serait pourtant pas sans risque.
En effet, il reste parfaitement possible pour l’employeur de conserver le salarié privé de son permis de conduire sur un emploi ne requérant pas l’usage de son permis.
Par exemple, la convention collective des transports routiers oblige l’employeur, informé de la suspension de son permis de conduire par le salarié, à le reclasser dans un autre poste durant le temps de celle-ci.
Si un tel reclassement est envisageable, l’employeur ne peut plus invoquer une impossibilité de toute poursuite des relations contractuelles et par voie de conséquence, ne peut plus invoquer un trouble caractérisé au sein de son entreprise.
Certaines décisions sont favorables à un licenciement[9], d’autres le sanctionnent[10] sans qu’il soit possible de fixer une règle juridique claire.
La jurisprudence n’est donc pas fixée sur ce point qui mériterait une position tranchée de la Cour de cassation.
[1] Cass. soc., 24 janv. 1991, n° 88-45.022 : JurisData n° 1991-002127
[2] Cass. soc., 15 juin 1999 : Bull. civ. 1999, V, n° 279.
[3] Cass. soc., 17 avr. 1991 : Bull. civ. 1991, V, n° 201.
[4] Cass. soc., 9 mai 2000 : JurisData n° 2000-001842 ; Bull. civ. 2000, V, n° 170.
[5] Cass. soc., 2 déc. 2003 : Bull. civ. 2003, V, n° 304. – V. égal., C. Vigneau, Le rattachement de faits de la vie personnelle à la vie professionnelle : la Cour de cassation persiste, note ss Cass. soc., 19 mars 2008, n° 06-45.212 : Dr. soc. 2008, p. 818 ; JurisData n° 2008-043290.
[6] Cass. soc., 26 sept. 2001 : RJS 2001, n° 1413.
[7] CA Lyon, 15 déc. 2010, n° 10/00988, n° JurisData : 2010-028334
[8] Cass. soc., 3 mai 2011, n° 09-67.464, FS-P+B, Sté Challancin c/ M. M. : JurisData n° 2011-007705
[9] CA Bourges, 5 nov. 2010, n° 10/00156 ; JurisData n° 2010-026614
[10] CA Paris, 30 avr. 2009, n° 07/05785 ; JurisData n° 2009-377529
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