Le plafonnement des indemnités aux prud’hommes. Plafonner les indemnités devant les conseils de prud’hommes limiterait, parait-il, l’insécurité juridique liée au droit du travail, réduirait le nombre de procès et favoriserait même l’emploi en agissant sur le levier indemnitaire de la responsabilité patronale.
Vrai ou faux ? petite synthèse sur les idées fausses du projet de loi El Khomri concernant la justice prud’homale, le droit du travail et les principes qu’il est censé protéger.
Etat des lieux de la justice prud’homale
En droit du travail, l’alternance politique signe l’alternance du droit. La matière subit plus que toute autre la pression sociale et les pulsions politiques.
18 millions de salariés, couverts par le droit du travail, ont vocation à être jugés par les 14 500 conseillers prud’homaux paritairement élus (mais désignés par les partenaires sociaux représentatifs à partir de 2017), sans présence de magistrat professionnel.
Si l’élection des conseillers, puis leur désignation par les syndicats à partir de 2017, a d’incontestables avantages, notamment en termes de proximité professionnelle entre le justiciable et son juge, elle fait siéger des employeurs et des salariés n’ayant souvent aucune formation juridique initiale, alors que le droit du travail s’est complexifié à outrance.
La procédure actuelle est lourde et fastidieuse, la conciliation préalable a montré ses limites (le taux de conciliation est inférieur à 6 %), le départage accroît considérablement les délais de jugement, les décisions des conseils de prud’hommes sont souvent discréditées, la justice sociale est lente et déconnectée du rythme du monde du travail (en moyenne 15 mois), l’absence de procédure écrite ne favorise pas le respect des délais, la jurisprudence est instable et incertaine.
La justice prud’homale doit elle être reformée ? réponse oui. Reste à savoir comment (et accessoirement par qui).
Le gouvernement veut plafonner les indemnités allouées aux salariés, mais n’a pas l’intention d’accorder davantage de crédits à la justice prud’homale. A chacun ses urgences.
Plafonner les indemnités aux prud’hommes : serait-ce légal ?
Si la réorganisation du fonctionnement des prud’hommes prévue par la loi Macron du 10 juillet 2015 est en vigueur, le plafonnement des indemnités aux prud’hommes prévu par cette loi a été censuré par le Conseil constitutionnel le 5 août 2015, qui a admis que le législateur pouvait plafonner l’indemnité de licenciement injustifié ; mais pour ce faire, le Conseil a jugé qu’il fallait retenir des critères « présentant un lien avec le préjudice subi par le salarié ».
À ce titre, l’ancienneté serait un critère recevable. En revanche, a été censurée la place laissée au critère des effectifs de l’entreprise car il portait atteinte au principe d’égalité devant la loi.
Le projet de loi El Khomri prévoirait de limiter les indemnités selon la seule ancienneté du salarié :
Inférieur à 2 ans : 3 mois de salaire
De 2 ans à moins de 5 ans : 6 mois de salaire
De 5 ans à moins de 10 ans : 9 mois de salaire
De 10 ans à moins de 20 ans : 12 mois de salaire
20 ans et plus, 15 mois de salaire.
Actuellement, les indemnités sont fixées librement en fonction du préjudice subi, mais aussi de l’âge, l’ancienneté, la taille de l’entreprise, les difficultés éprouvées à trouver un emploi. Seule contrainte, il existe un plancher – et non un plafond – en matière d’indemnité, fixé en fonction de l’ancienneté du salarié et de l’effectif de l’entreprise : si le salarié a plus de deux ans d’ancienneté et que l’entreprise emploie plus de 11 salariés, l’indemnité allouée ne peut être inférieure à 6 mois de salaire brut (article 1235-3 du code du travail).
Reste que le projet de plafonnement des indemnités prud’homales violerait la Convention 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) qui prévoit une « indemnité adéquate ou une réparation appropriée ». Cette convention supra nationale s’impose en France, qui a fait partie de l’Organisation internationale du travail.
Plafonner les indemnités : une mesure particulièrement inéquitable
Le but recherché serait de provisionner de façon plus certaine le montant des litiges en cas de licenciement, ce qui favoriserait l’emploi selon certains esprits éclairés.
Or, le coût d’un contrat de travail ne se résume pas à un risque devant les prud’hommes. Et avant de parler embauche et du cout d’un éventuel licenciement, c’est du coté du carnet de commandes des entreprises qu’il faut se tourner.
Surtout, si l’on met en perspective la réforme annoncée du plafonnement des indemnités devant les prud’hommes et celle en discussion de l’assurance chômage, force est de constater que les grands perdants seront les salariés.
L’idée d’une dégressivité des allocations chômage, c’est-à-dire une baisse de l’indemnité à partir d’un certain temps passé à pointer à Pôle emploi, fait son chemin.
Ainsi, les salariés licenciés abusivement seraient doublement punis : d’une part, en voyant les indemnités dédommageant leur perte d’empli plafonnées, d’autre part, en voyant leur indemnités chômage diminuer.
Plafonner les indemnités : la fin du pouvoir d’appréciation du juge
Le juge judiciaire est clairement mis à l’écart, puisqu’il serait privé de tout pouvoir d’appréciation pour réparer le préjudice lié à la perte injustifiée d’emploi consécutive à un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Cette tendance n’est pas nouvelle. Ainsi, la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 a retiré au juge judiciaire le contrôle des plans de sauvegarde de l’emploi. La procédure est ainsi sous le regard de la DIRECCTE, sous contrôle, en cas de recours du juge administratif.
Le plus grave est que le plafonnement des indemnités aux prud’hommes revient à considérer que tous les licenciements sont identiques.
Or, les motifs de licenciement sont nombreux, à savoir notamment la faute grave, l’inaptitude du salarié, les difficultés économiques, l’insuffisance professionnelle ; chaque cas est différent et doit donné lieu à l’octroi d’indemnités différentes, alors qu’elles seront les mêmes dans la future réforme El Khomri.
Le dispositif initial de la Loi Macron prévoyait d’ailleurs que le juge pouvait fixer une indemnité supérieure au plafond en cas de faute de l’employeur d’une « particulière gravité ». Cette échappatoire n’est plus prévue dans la future réforme El Khomri.
Plafonner les indemnités : encourager la déloyauté
Revenons un instant au principe, à savoir qu’un licenciement doit être régulier et justifié, car le contrat de travail, comme tout contrat, doit s’exécuter de manière loyale ; le projet El Khomri encourage l’inverse, à savoir les licenciements sans cause réelle et sérieuse.
En effet, Il est de nature à encourager les comportements abusifs, en délivrant aux employeurs peu scrupuleux une forme d’autorisation de licencier sans motif tout en s’exposant à des risques très limités.
Faut-il le rappeler, pour licencier, l’employeur doit avoir un motif réel et sérieux. Ce motif peut être personnel (c’est le cas lorsque le salarié est licencié pour faute pour insuffisance professionnelle par exemple) ou économique (c’est le cas lorsqu’une entreprise restructure son activité en raison de difficultés économiques ou pour sauvegarder sa compétitivité).
Le projet El Khomri pose finalement une question : Faut-il baisser le coût d’un licenciement illégal pour inciter les entreprises à embaucher ? Cette question est, en soi, hallucinante pour tout professionnel du droit.
Si un licenciement est illégal, en plafonner la sanction n’est ni de nature à dissuader l’employeur, ni de nature à favoriser l’embauche.
En réalité, si les indemnités perçues par un salarié dans le cas d’un licenciement abusif sont réellement un surcoût du travail et un frein à l’emploi, il faut alors se ranger derrière la proposition du Medef, qui milite pour l’abandon de la justification du licenciement, à l’instar de ce qui se fait dans les pays anglo-saxons.
Toutefois, il ne faut pas se leurrer : permettre à un employeur de licencier sans motif, équivaut à ignorer la contribution essentielle du salarié dans le succès de l’entreprise.
Plafonner les indemnités : le contentieux va changer de nature
Il faut tenir compte des pratiques indemnitaires complétant l’indemnité de licenciement injustifié comme de la multiplication de la reconnaissance des licenciements nuls soumis à un régime indemnitaire encore plus lourd.
C’est le cas des licenciements de salariés victimes de discriminations, de harcèlement moral ou harcelement sexuel, ou des salariés élus.
Les préjudices distincts : préjudice de retraite, préjudice de carrière, préjudice moral, vont automatiquement faire leur apparition et seront brandis systématiquement, puisque l’indemnisation de la perte d’emploi injustifiée sera plafonnée.
Les ruptures conventionnelles vont subir le même sort
La loi portant modernisation du marché du travail du 25 juin 2008 a créé la rupture conventionnelle homologuée, qui a remporté un vrai succès : entre 25 000 et 32 000 homologations par mois en 2014, soit deux fois le nombre des licenciements économiques, et ne donne lieu qu’à un contentieux marginal. Par voie de conséquence, le taux de recours contentieux a considérablement baissé.
Les indemnités versées dans le cadre des ruptures conventionnelles vont, par ricochet, être réduites car aucune entreprise ne consentira à payer davantage que le plafond légal en cas de procès.
Les entreprises vont donc perdre un outil très utilisé dans la gestion de leurs effectifs. Si la grille tarifaire pèse à la baisse sur les montants de ces indemnités, elle perdra son attrait pour les salariés.
Et moins de ruptures conventionnelles, c’est plus de procès…
Kévin LP dit
Bonjour,
Merci pour vos précisions et détails. Je suis heureux d’apprendre que la Convention 158 de l’Organisation internationale du travail devrait empêcher les plafonnements au Prud’homme, mais je trouve que cela reste très polémique. Dans les faits et depuis ces nouvelles ordonnances de Macron de sept. 2017, avons nous un réel retour d’expérience ? Comment se sont passé les séances avec les licenciements abusifs ? les plafond ont ils été respectés ?
Je viens de lire attentivement votre article, et je me retrouve plus ou moins dans vos lignes. En CDI depuis 9 mois dans une multinational, j’ai été licencié pour faute grave mi Nov. 2017. Officiellement on me reproche d’avoir été en retard sur 2 dossiers commerciaux. J’étais ingénieur d’affaires dans le BTP. Je suis dans le cas d’un licenciement abusif avec moins d’ an d’ancienneté. Pensez-vous qu’il vaille le coût de se battre en justice ?
Merci de votre conseil.
Salutations